Ce qui a permis néanmoins une authentique évolution dans l’examen des conditions de travail est ce dialogue qui a pu lentement s’instaurer entre les syndicats et le patronat. Rappelons que le droit de se syndiquer apparaît en 1884, sous la IIIème République. En 1892, la Confédération Générale du Travail ou CGT est créée. Premier syndicat, elle comptera près de 4 millions d’adhérents au début des années 30. Sans des hommes prêts à défendre la chose commune, jamais les conditions de travail n’aurait pu progresser. Sans les syndicats, jamais la politique sociale n’aurait pu évoluer et, par conséquent, œuvrer pour l’amélioration des conditions de travail.
L’ère florissante industrielle qui a marqué le XXème siècle a laissé une profonde cicatrice dans les esprits. Le Taylorisme, voulant augmenter la productivité, a transformé l’homme en marionnette. Nous connaissons tous ce film génial de Charlie Chaplin « Les Temps Modernes » (1936) qui donne à voir toute la stratégie cauchemardesque du travail à la chaîne. Cette méthode d’organisation du travail est pendant très longtemps pratiquée et l’est sans doute encore aujourd’hui dans des pays où le prix de la main-d’œuvre est sous-évalué. Mais bientôt, en France, les chaines de construction de plus en plus automatisées obligent l’homme à se comporter comme un robot, quotidiennement, jusqu’à les détruire psychiquement.
A partir de 1945, le Parti Communiste Français dirigé par Maurice Thorez sera le premier parti politique français qui symbolisera véritablement la classe ouvrière. Il fait signaler qu’en 1950, un salarié sur deux est syndiqué. Les conditions de travail s’améliorent sous l’action des syndicalistes. Mais dès les années 1970, ayant obtenu de nets progrès concernant les conditions des travailleurs, les salariés commencent à déserter les syndicats (seulement 1 sur 4). Il est vrai que les contraintes physiques sont moins lourdes, les conditions de sécurité plus vivables, mais en même temps, cette évolution dans les infrastructures demande des équipements plus lourds et plus complexes, entrainant du coup une augmentation des horaires de nuit et de nouvelles postures contraignantes.
Par exemple, sur le site Peugeot-Sochaux, la chaine est repensée mais elle est toujours là. L’espace est propre, les épreuves de force sont plus rares, mais en contrepartie, la chaîne ne s’arrête quasiment plus. Les pannes, le freinage, ou l’absentéisme, ne peuvent plus freiner la machine. L’ouvrier doit suivre la cadence inlassablement. Certains disent alors que si c’était plus pénible avant, c’était quand même moins chargé au niveau du rythme. L’ancienne pénibilité a disparu mais une autre est arrivée. En fait, l’évolution technique n’implique pas toujours une amélioration des conditions de travail. Au lieu d’assister l’ouvrier, l’automate peut au contraire conduire à un plus grand contrôle de son action ou à une implication plus intense. Le travailleur se met à obéir à la machine… C’est elle qui va déterminer son rythme de travail, et plus l’inverse. Il reste aujourd’hui en France toujours une forme de travail à la chaîne qui sert les intérêts industriels notamment dans l’industrie du cuir et de la chaussure, dans l’agro-alimentaire et la parachimie, dont les risques sur les personnes sont soigneusement encadrés afin de prévenir au mieux les dangers.
Dès la fin de la guerre, la création de la sécurité sociale oblige les pouvoirs publics à promouvoir la création des comités d’entreprise et de développer des comités de sécurité (CHS) pour favoriser la prévention des risques. Ils s’occupent des questions de sécurité mais aussi d’hygiène et de santé. En même temps se créé la Médecine du travail qui examine la problématique de la prévention des risques. Dès lors, le CHS devient obligatoire pour les entreprises dépassant 300 employés. Mais il faudra attende 1982 pour que l’hygiène, la santé et la sécurité soient associées à l’analyse des conditions de travail. Cela amène à la création du CHSCT qui se voit alors doté d’un droit de défense pour toutes les travailleuses et tous les travailleurs de l’entreprise. Le CHSCT devient alors un organe de prévention des risques sous contrôle d’experts. Dès 2003, le CHSCT élargit son domaine d’action à d’autres zones sombres du monde du travail, notamment les troubles musculo-squelettiques, le harcèlement sexuel et moral, le stress… Son devoir d’alerte lui permet de prendre l’initiative d’informer l’employeur et de consigner par écrit un constat de danger grave et imminent. Dans le secteur privé, la Direction régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi est en droit de convoquer le juge des fédérés pour ordonner la fermeture d’un atelier ou d’un chantier.
L’outil informatique qui n’a pas tardé à s’imposer n’est pas sans poser de nouvelles problématiques sur les conditions de travail. En effet, celui-ci favorise une certaine autonomie pour le travailleur tout en réduisant les efforts physiques. Mais les nouvelles technologies naissantes imposent soudain un nouveau rythme de travail, plus compétitif, plus astreignant, avec une réelle pression psychologique. En effet, l’entreprise devient l’outil des marchés financiers en quête d’un nouveau profit toujours plus performant. Le monde boursier impose de nouvelles contraintes dont les travailleurs sont les premiers à ressentir les effets. Les actionnaires attendent des retombées rapides et positives sur leurs investissements et cela entraîne une nouvelle forme de dégradation des conditions de travail. Cette volonté de productivité installe un climat délétère qui va s’accentuer avec la menace du chômage. Le troisième tiers du XXème siècle en France ouvre la voie d’une nouvelle conception du travail, avec en ligne de mire le marché de la mondialisation. Très vite la tentation est énorme pour les multinationales d’installer leur pole de production dans des pays où les conditions de travail ne bénéficient pas du même encadrement qu’en France. Cela donne rapidement des situations absurdes où des entreprises pourtant prospères ferment leur site français pour s’implanter dans des pays qui proposent un faible coût de main d’œuvre.
Si la prévention des risques et les conditions de travail des français sont aujourd’hui au centre des préoccupations, cela ne signifie pas pour autant que la pénibilité n’est plus au rendez-vous et qu’elle soit honorablement traitée, notamment en ce qui concerne les droits à la retraite. Le gouvernement est en train de statuer sur de nouvelles réformes concernant la « prévention » et les « modalités de prise en charge » des salariés exposés aux risques chimiques. Actuellement, dix facteurs permettent aux salariés du privé occupant un poste pénible de cumuler des points afin de partir plus tôt à la retraite, se former ou travailler à temps partiel, sans perte de salaire : le travail de nuit, répétitif, en milieu hyperbare, en équipes successives alternantes, le bruit, le port de charges, l’utilisation d’agents chimiques, les postures pénibles, vibrations mécaniques et températures extrêmes. Mais demain, on risque de plus retenir que six critères : travail de nuit, répétitif, en horaires alternants ou en milieu hyperbare, bruit et températures extrêmes. Autant dire que question prise en compte de la pénibilité, les choses ne sont pas gagné.